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L'arrêt Blanco du 8 février 1873

L’arrêt Blanco est une décision majeure pour la naissance du droit administratif moderne pour au moins deux raisons :


  • Il pose le principe selon lequel le droit administratif est un droit autonome et spécial, ce qui veut dire que le Code civil ne sera pas directement applicable.

  • Il assouplit les conditions juridiques relatives à l’engagement de la responsabilité administrative de l’Etat, lequel était pendant longtemps considéré comme irresponsable par nature.

Dans cet article nous allons étudier avec précision cette décision du Tribunal des conflits tout en explicitant sa portée précise. 🔥


L’arrêt Blanco : fiche d’arrêt



Accroche


“A la vérité, nous avons reconnu que l’Etat, comme propriétaire, comme personne civile capable de s’obliger par des contrats dans les termes du droit commun, était, à ce double point de vue, dans ses rapports avec les particuliers, soumis aux règles du droit civil. Mais il ne s’agit pas là de l’Etat propriétaire ou personne civile ; il s’agit là de l’Etat puissance publique à qui l’on vient demander compte“.

Cette citation est tirée des conclusions du commissaire du Gouvernement Edmond David, qui apparaît sur la photographie juste en dessous 👇




Ici, une distinction très claire est posée entre l’État agissant en tant que personne privée et l’État agissant en tant que personne privée.


Cette distinction est particulièrement éclairante : elle va contribuer à fonder la différence d’application entre le droit administratif et le droit civil, comme le résume le schéma ci-dessous.




Les faits


Une jeune fille âgée de 5 ans, dénommée Agnès Blanco, est renversée par un wagonnet conduit par les employés d’une manufacture de tabac.


A l’époque, les manufactures de tabac étaient exploitées directement par l’administration agissant en tant qu’autorité publique.


Le wagonnet passant sur la cuisse jeune Agnès Blanco, celle-ci dû subir une amputation (et est probablement décédée dans d’atroces souffrances… 😔).


La procédure


Le 24 janvier 1872, Jean Blanco, le père d’Agnès Blanco, assigne l’Etat, représenté par le préfet de la Gironde ainsi que les employés de la manufacture devant le tribunal civil de Bordeaux.


Il considère en effet que l’Etat doit être condamné sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil, c’est-à-dire sur le fondement de la responsabilité civile pour faute et de la responsabilité du fait des choses.


Le 17 juillet 1872, le tribunal civil de Bordeaux s’estime compétent pour connaître de l’affaire.


Le 22 juillet 1872, le préfet de la Gironde prend un arrêté de conflit, qui oblige le juge judiciaire à surseoir à statuer jusqu’à ce que le Tribunal des conflits décide si le juge judiciaire ou le juge administratif est compétent pour connaître de l’affaire.





C’est dans ce contexte que le Tribunal des conflits est donc saisi.


Les demandes et moyens de droit soulevés par les parties


Le préfet de la Gironde, représentant de l’État, demande au Tribunal des conflits de reconnaître la compétence du juge administratif pour cette affaire.


En effet, le préfet considère qu’en vertu des lois des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 Fructidor An III, les juridictions judiciaires ne peuvent pas connaître des affaires administratives et donc des demandes visant à engager la responsabilité de l’État.


La question de droit posée au Tribunal des conflits


Dès lors, la question de droit suivante pouvait être posée : la juridiction judiciaire est-elle compétente pour statuer sur les dommages causés par les services publics de l’État ?


La réponse apportée par le Tribunal des conflits


Le Tribunal des conflits apporte ici une double réponse.


  • 1️⃣ D’une part, il reconnaît que l’État peut être considéré comme responsable du fait des dommages qu’il cause à travers ses services publics. Il semble donc mettre un terme au principe selon lequel l’État était irresponsable par nature.

  • 2️⃣ D’autre part, il considère que la responsabilité de l’administration n’est ni générale ni absolue et il précise qu’elle ne saurait être engagée sur le fondement du Code civil. Autrement dit, c’est le juge administratif est donc compétent pour connaître de ces litiges.

Les apports de l’arrêt Blanco


L’apport de l’arrêt Blanco est immense : il s’agit d’une des décisions ayant contribué à la naissance du droit administratif moderne.


La responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée


Rétrospectivement, cela peut paraître évident, mais ce ne l’était pas du tout à l’époque !


Pendant très longtemps, le principe qui dominait le droit administratif était celui de l’irresponsabilité de l’État.


Autrement dit, l’administration, même si elle avait commis une faute, ne pouvait pas voir sa responsabilité engagée. Les victimes n’étaient donc jamais indemnisées. 😯


C’est donc l’arrêt Blanco vient mettre un terme à ce principe en précisant que la responsabilité “peut incomber à l’État” et qu’elle a “ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service“.



C’est donc pour cette raison qu’il s’agit de l’une des décisions fondatrices du droit de la responsabilité administrative.


Le droit civil ne peut pas être appliqué à l’État


Le Tribunal des conflits précise dans l’arrêt Blanco que la responsabilité de l’État “ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil” et qu’elle n’est “ni générale, ni absolue“.


Autrement dit, il est précisé que les règles concernant l’engagement de la responsabilité civile contenues dans le Code civil ne sauraient être appliquées à l’État.


De manière simple et directe, les juges répartiteurs refusent que l’administration soit soumise au droit privé.


Cela revient à dire que le droit administratif est un droit autonome et spécial :


  • Autonome, parce qu’il n’a pas être calqué sur le droit civil. Il obéit à des règles et des logiques différentes, avec un juge chargé de son application différent du juge judiciaire.

  • Spécial, parce qu’il peut retenir des solutions différentes de celles retenues par le Code civil, en raison du fait qu’il s’applique à l’administration, garante de l’intérêt général, et non à de simples personnes privées.


C’est donc pour cette raison que l’on considère assez souvent que l’arrêt Blanco est un arrêt fondateur du droit administratif moderne, tel qu’il est encore enseigné en faculté de droit aujourd’hui.


Le mythe de l’arrêt Blanco ?


L’arrêt Blanco est traditionnellement décrit comme l’acte fondateur du droit administratif moderne.


Pourtant, certains professeurs se sont attachés à démontrer que sa portée réelle était en réalité moins importantes.


Explications ⬇️


Une reconstruction historique par l’école du service public ?


On évoque souvent la notion de service public lorsqu’on analyse l’arrêt Blanco.


Or, il faut comprendre qu’à l’époque où la décision est rendue, la notion de service public n’est pas aussi important qu’elle l’est aujourd’hui dans la jurisprudence administrative.


Le terme “service public” est bien employé dans la décision, mais il a une signification toute autre !


Ce n’est que quelques années plus tard que l’école du service public se développe sous l’influence de Léon Duguit.


Ce sont en réalité les décisions Terrier (1903), Feutry (1908) et Thérond (1910) qui mettent véritablement en avant la notion de service public en droit administratif.


Autrement dit, selon certains juristes, la décision Blanco aurait pu être instrumentalisée par les tenants de l’école du service public.


Le précédent de l’arrêt Rothschild


L’arrêt Blanco n’est pas réellement un arrêt novateur !


En effet, l’engagement de la responsabilité de l’administration date d’un arrêt du Conseil d’État dit “Rothschild” de 1855.


Sur ce point précis, le Tribunal des conflits n’a fait que reprendre la jurisprudence du Conseil d’État.


La compétence suit-elle toujours le fond ?


En droit administratif, on dit souvent que la “compétence suit le fond“.



Autrement dit, si le droit administratif s’applique, le juge administratif sera compétent.


A l’inverse, si le droit civil s’applique, le juge judiciaire sera compétent.


C’est bien ce qu’il se passe avec l’arrêt Blanco : le droit de la responsabilité administrative doit s’appliquer (à défaut du Code civil), ce qui revient à dire que le juge administratif sera compétent pour connaître de l’affaire.


Pourtant, les choses sont aujourd’hui loin d’être si simples.


Sans rentrer dans les détails, le juge administratif peut aujourd’hui appliquer directement ou indirectement le droit civil tout comme le juge judiciaire peut parfois appliquer le droit administratif.


Bien entendu, cela se produit dans certains cas précis, qui sont très loin d’être majoritaires.


Mais le principe selon lequel “la compétence suit le fond" est en réalité loin d’être absolue.


Il faut donc largement le relativiser.

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