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Action publique et droit public européen – DISSERTATION

L'action publique et le droit public européen sont étroitement liés. La première est désormais encadrée par le second dans l'intérêt général.
action publique et droit public européen

Table des matières

En évoquant les valeurs, les finalités et les objectifs de l’action publique organisés de manière cohérente par le droit public français, l’ancien vice-président du Conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé, soulignait que « Cette cohérence, le droit européen, au-delà des ébranlements et des remises en cause qu’il a suscités ou accompagnés chez nous, contribue à la mettre en valeur » (Jean-Marc Sauvé, discours du 15 mai 2011, L’avenir du modèle français de droit public en Europe). Plutôt qu’un affaiblissement de l’action publique par le droit européen, c’est bien l’idée d’un renforcement qui est mise en avant.

L’action publique peut se définir comme la mise en œuvre des politiques publiques par un Etat, une collectivité territoriale, un établissement public ou une autorité administrative indépendante. Conformément à la notion d’Etat de droit, selon laquelle une personne publique entend se soumettre aux normes qu’elle produit, l’action publique se veut par essence limitée par un corpus de normes juridiques. Récemment, ce corpus juridique a été enrichi à travers le développement du droit communautaire et du droit de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Ainsi, alors que l’action publique des personnes publiques était traditionnellement soumise au droit national, ce dernier a été enrichi par l’émergence du droit européen. Néanmoins, d’aucuns considèrent que les contraintes qui sont aujourd’hui imposées par le droit européen à l’action publique réduisent excessivement ses marges de manœuvre.

Dans cette perspective, le développement du droit public européen conduit-il à restreindre excessivement l’action publique des Etats membres ?

L’essor du droit européen a conduit à faire évoluer les exigences s’imposant à l’action publique, voire à en remettre certains domaines en cause (I). Si la mise en place de mécanismes juridiques a permis de faciliter la transformation de l’action publique et l’intégration du droit européen, la persistance de certaines problématiques en la matière traduit le besoin d’une meilleure conciliation entre normes européennes et nationales (II).

I. L’essor du droit européen a profondément fait évoluer l’action publique

A. L’essor du droit européen a conduit à faire évoluer les exigences s’imposant à l’action publique

Le développement du droit communautaire et du droit de la Convention européenne des droits de l’Homme a rapidement pris une ampleur importante affectant l’action publique des Etats membres.

Dès les arrêts Costa c. Enel (1964) et Van Gend et Loos (1963), la Cour de justice des communautés européennes a affirmé les principes de primauté et d’effet direct du droit communautaire. Sans affirmer de principes similaires, la Cour européenne des droits de l’Homme considère pour sa part que la Convention est un « instrument constitutionnel de l’ordre public européen » (CEDH, 1995, Loizidou c. Turquie) destiné à « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » (CEDH, 1979, Airey c. Irlande).

Dans l’ordre juridique interne, l’essor du droit européen s’est notamment matérialisé par la possibilité d’écarter une loi postérieure à un traité international et jugée incompatible avec celui-ci (Cass, 1975, Jacques Vabre et CE, Ass, 1989, Nicolo). En matière communautaire, le Conseil d’Etat a progressivement abandonné sa jurisprudence Société des pétroles Shell-Berre (1964) en acceptant plus facilement de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (article 267 du TFUE). De la même manière, il est progressivement revenu sur sa jurisprudence Cohn-Bendit (1974) en reconnaissant l’effet direct d’une directive européenne non transposée dans un délai raisonnable (CE, 2009, Perreux).

La traduction des normes européennes en droit interne a ainsi bouleversé les standards d’exigence de l’action publique.

Les juridictions nationales contrôlent l’action publique de l’administration en tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sans attendre une éventuelle condamnation de la France et disposent d’une plénitude de juridiction pour appliquer le droit de l’Union européenne (TC, 2011, SCEA du Chéneau).

L’administration peut également voir sa responsabilité engagée en cas de violation du droit de l’Union européenne (CJCE, 1991, Francovich), que ce soit à travers un acte administratif (CE, 1992, SA Philip Morris France) ou une loi (CE, Ass, 2007, Gardedieu).

Le droit européen s’est donc développé pour encadrer l’action publique, ce qui a conduit à certaines remises en cause et à certaines tensions.

B. En conséquence, certains domaines de l’action publique ont subi d’importantes remises en cause

L’intégration du droit européen a conduit à remettre en cause de manière substantielle plusieurs pans de l’action publique.

La notion de service public, qui illustre intrinsèquement la mise en œuvre de l’action publique en droit français, peut rentrer en contradiction apparente avec la notion de service d’intérêt économique général en droit de l’Union européenne. En effet, cette notion a pu justifier la libéralisation d’entreprises nationales chargées de la gestion d’infrastructures en réseaux (télécoms, électricité, gaz…) alors qu’elles relevaient historiquement du secteur public. En matière de droit de la concurrence, les aides d’Etat sont par principe prohibées par les traités européens (article 107 du TFUE), ce qui peut contrevenir aux traditions d’interventionnisme économique de certains Etats membres.

De la même manière, la jurisprudence de la Cour européenne a pu remettre en cause l’action traditionnelle des autorités publiques. En matière de justice administrative, elle a conduit à repenser le rôle du commissaire du Gouvernement (CEDH, 2001, Kress c. France). Concernant le service public de l’état civil, elle a conduit, malgré les dispositions du Code civil français, à reconnaître le lien de filiation entre le père et son enfant issu d’une gestation pour autrui (CEDH, 2014, Mennesson et Labassée c. France).

Face à ces remises en cause, les juridictions nationales ont réaffirmé la supériorité des normes constitutionnelles dans l’ordre juridique interne, ce qui a nourri une tension apparente dans la conciliation entre normes européennes et nationales.

Cette primauté des normes constitutionnelle a été rappelée autant par le Conseil d’Etat dans sa décision Sarran et Levacher (1998), que par la Cour de cassation dans sa décision Mademoiselle Fraisse (2000) et par le Conseil constitutionnel dans sa décision Loi relative à l’économie numérique (2004).

Ces jurisprudences, soucieuses de rappeler que l’action publique demeure avant tout régie par les normes constitutionnelles, semblent en apparence rentrer en contradiction avec les normes européennes.

Le développement du droit européen a donc conduit à une évolution des standards d’exigences de l’action publique ainsi qu’à certaines remises en cause qui ont nourri une potentielle tension entre jurisprudences. Des mécanismes accompagnant le processus de transformation de l’action publique et de facilitant l’intégration du droit européen, offrent une réponse à ces tensions apparentes.

II. Certaines problématiques demeurent pour mieux concilier normes nationales et européennes

A. La mise en place de mécanismes permettant une meilleure intégration du droit européen a permis d’accompagner les processus de transformation de l’action publique

Plusieurs mécanismes ont permis d’améliorer l’intégration du droit européen dans l’ordre juridique interne.

Le premier d’entre eux relève du dialogue des juges, théorisé par Bruno Gennevois à l’occasion de l’arrêt Cohn-Bendit (1974). Les juridictions nationales sont ainsi particulièrement sensibles aux jurisprudences des juridictions européennes et appliquent la théorie de l’équivalence des protections pour concilier les normes constitutionnelles et communautaires (CE, 2007, Arcelor et Cour de Karlsruhe, 2000, So Lang III). De la même manière, la Cour de justice de l’Union européenne dégage des principes généraux du droit en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes des Etats membres (CJCE, 1970, Internationale Handelsgessellschaft) et la Cour européenne des droits de l’Homme les laisse disposer d’une marge nationale d’appréciation.

De manière plus récente, la bonne articulation entre normes constitutionnelles et européennes a été enrichie à travers la reconnaissance du caractère prioritaire de la question prioritaire de constitutionnalité dans les litiges nécessitant également la transmission d’une question préjudicielle (CJUE, 2010, Melki). Le protocole numéro 16 à la Convention européenne des droits de l’Homme permet également aux juridictions dites « suprêmes » de saisir d’un avis la Cour européenne des droits de l’Homme pour qu’elle puisse faire connaître ses raisonnements juridiques de manière préventive.

Grâce à ces mécanismes, le processus de transformation de l’action publique tenant compte des nouvelles exigences européennes a été facilitée.

La conciliation entre normes européennes et traditions nationales a par exemple permis à l’Etat de développer une nouvelle fonction de régulation qui traduit un équilibre entre interventionnisme et désintéressement des affaires économiques. Il s’agit, selon le vice-président du Conseil d’Etat, d’une nouvelle modalité de l’action publique qui est dévolue à l’Etat (Bruno Lasserre, discours du 25 janvier 2019, L’Etat régulateur).

Le droit de la convention européenne des droits de l’Homme est également mieux pris en compte par l’administration notamment lorsqu’elle prononce des sanctions administratives potentiellement contraires au principe du non bis in idem (CEDH, 2014, Grande Stevens c. Italie). En matière de service public de la justice administrative, la réforme du Commissaire du Gouvernement, devenu rapporteur public, a permis de rentrer en conformité avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH, 2013, Marc-Antoine).

Ainsi, l’action publique a su progressivement se transformer en s’adaptant aux standards européens. Néanmoins, la persistance de plusieurs problématiques traduit le besoin persistant d’une meilleure conciliation entre normes européennes et nationales.

B. Certaines problématiques appellent à une meilleure conciliation entre normes européennes et nationales

Des problématiques demeurent quant à l’intégration du droit européen vis-à-vis de certaines modalités de l’action publique.

Des réticences à l’adaptation semblent encore être perceptibles dans la conduite de l’action publique. Ainsi, le droit national n’oblige toujours pas les personnes publiques à organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence avant la conclusion d’une convention d’occupation domaniale à titre onéreux portant sur les biens appartenant à leur domaine privé. La jurisprudence Promoimpresa (2016) de la Cour de justice de l’Union européenne semble pourtant l’imposer. La Cour a également sanctionné le Conseil d’Etat pour manquement à son obligation de transmission d’une question préjudicielle en cas de doute sérieux sur l’interprétation d’une norme européenne (CJUE, 2018, Commission c. France).

De la même manière, les conditions de détention des détenus dans certains établissements gérés par l’administration pénitentiaire ne sont toujours pas conformes à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH, 2020, J. M. B. et autres c. France). Dans ce type de contentieux, la justice administrative est également mise en cause puisque les référés-libertés et mesures-utiles ne sont pas considérés comme des « recours préventifs effectifs » (CEDH, 2020, op. cit).

Ces problématiques d’adaptation au droit européen traduisent le besoin persistant d’améliorer la conciliation des normes européennes et nationales.

La conduite de l’action publique pourrait être facilitée en réaffirmant un principe de subsidiarité. Mattias Guyomar considère par exemple que le protocole numéro 15 à la Convention européenne des droits de l’Homme traduit une notion de « responsabilité partagée » entre les autorités nationales et la Cour dans la protection des droits fondamentaux (Mattias Guyomar Discours du 13 septembre 2019, Les rapports entre les cours nationales et la Cour européenne des droits de l’Homme). A l’échelle de l’Union européenne, le principe de subsidiarité a également été renforcé avec le traité de Lisbonne (2007) en permettant à une majorité de Parlements nationaux de sanctionner la Commission européenne si toutefois elle portait atteinte à ce principe.

En assouplissant les possibilités de recourir à ces mécanismes, les autorités nationales et européennes seraient amenées à se concentrer sur leurs champs respectifs d’action publique tout en conciliant leurs différentes normes.

*

Le développement du droit public européen a conduit à imposer de nouvelles exigences à la conduite de l’action publique. Ces remises en cause ont pu justifier de profondes transformations du rôle et des fonctions des personnes publiques. Le développement de mécanismes visant à mieux intégrer les normes européennes dans l’ordre juridique interne a donc permis de faciliter les transformations souhaitées de l’action publique. Néanmoins, certaines problématiques demeurent et posent la question du partage des responsabilités entre autorités nationales et autorités européennes.

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