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L’article 1240 du Code civil ou la responsabilité du fait personnel

L'article 1240 du Code civil est un pilier du droit de la responsabilité civile. Sa maîtrise est donc incontournable pour chaque juriste.
article 1240 du Code civil

Table des matières

L’article 1240 du Code civil (anciennement article 1382), ainsi que l’article 1241, instituent le régime de droit commun de la responsabilité civile. En effet, ils posent les bases du droit de la responsabilité du fait personnel.

Aux côtés de ce régime existent des régimes spéciaux d’engagement de la responsabilité civile tels que la responsabilité du fait d’autrui, la responsabilité du fait des produits défectueux, la responsabilité du fait des choses, la responsabilité du fait des accidents de la circulation ou encore la responsabilité environnementale.

Selon l’article 1240 du Code civil : “Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer“.

Par ailleurs, selon l’article 1241 du Code civil : “Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence“.

Il résulte de la combinaison de ces deux articles que la responsabilité civile peut être engagée dès lors qu’est caractérisé un préjudice imputable à un acte fautif au moyen d’un lien de causalité.

Le fait générateur dans l’article 1240 du Code civil : la faute

Traditionnellement, la faute est définie comme un « manquement à une obligation préexistante » (Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 1931).

De cette définition très synthétique, on a pu dégager deux exigences pour l’établissement d’une faute : l’élément moral et l’élément matériel.

L’élément moral de la faute

En faisant explicitement référence à la négligence ou l’imprudence, l’article 1241 du Code civil pose que la responsabilité civile d’un individu peut être engagée en l’absence d’intention de causer le dommage.

Cela s’explique par la logique fondamentalement indemnitaire de la responsabilité civile : l’engagement de la responsabilité civile et ses conséquences ne sont pas tournées vers la sanction de l’auteur du dommage, mais vers la réparation du préjudice de celui qui le subit.

L’élément moral de la faute est double :

  • D’une part, il réside dans l’imputabilité matérielle, c’est-à-dire l’identification de la faute de l’auteur
  • D’autre part, il réside dans l’imputabilité morale ou intellectuelle, c’est-à-dire la capacité de l’auteur à commettre une faute

Ainsi, en l’absence d’auteur identifié de la faute, il n’est pas possible d’engager la responsabilité civile.

En effet, il est certes nécessaire d’indemniser une victime, mais il faut toujours pouvoir identifier l’auteur d’un dommage pour engager sa responsabilité. Toutefois, si l’auteur du dommage n’est pas identifiable mais appartient de manière certaine à groupe de personnes, il est possible d’engager la responsabilité du groupe sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

En plus de l’imputabilité matérielle, il faudra établir l’imputabilité intellectuelle ou morale de la faute à son auteur, c’est-à-dire sa capacité de discernement, sans que cela n’implique l’intention de réaliser le dommage.

Il faut toutefois mentionner une double limite à la condition d’imputabilité intellectuelle de la faute :

  • Tout d’abord, l’article 414-3 du Code civil dispose que « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ».
    On ne peut attribuer aux personnes sous l’empire d’un trouble mental de capacité de discernement, dès lors, on ne peut les considérer responsables de leurs actes. L’article 414-3 du Code civil n’institue pas donc une responsabilité des déments, mais prévoit seulement que ces derniers, bien qu’irresponsables, sont tenus à réparation.
  • Ce régime à été étendu aux jeunes enfants, également incapables de discernement, par les arrêts Lemaire et Derguini rendus par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 9 mai 1984 (à cette même date furent d’ailleurs rendus 4 arrêts fondamentaux en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants, à savoir les arrêts Gabillet, Fullenwarth, Lemaire et Derguini).

L’élément matériel de la faute

Au sens de l’article 1240 du Code civil, l’élément matériel est le fait illicite, c’est-à-dire la faute en elle-même.

La faute susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur peut résulter d’une faute de commission ou d’omission :

  • La faute de commission nécessite un acte positif.
  • Au contraire, la faute d’omission résulte d’une abstention fautive.
    La faute d’omission pourra ainsi être retenue en présence d’une obligation d’action préexistante ou d’une intention de nuire caractérisant un abus de droit (par exemple, l’abus de majorité en droit des sociétés ou la rupture abusive des pourparlers).

La nature de la faute, de commission ou d’omission est indifférente pour engager la responsabilité civile de son auteur, comme cela ressort d’un arrêt de principe de la chambre civile de la Cour de cassation « Branly » du 27 février 1951 : « la faute prévue par les articles 1382 et 1383 [c’est-à-dire l’actuel article 1240 du Code civil et l’article 1241] du Code civil peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif ».

En matière civile, la faute de l’article 1240 du Code civil n’est pas nécessairement la violation d’une norme sanctionnée pénalement (contrairement à la faute pénale, le droit pénal étant soumis au principe de légalité des délits et des peines).

La faute civile peut ainsi résulter indifféremment de la violation d’une obligation sanctionnée pénalement, et dans ce cas constituer également une faute pénale, de la violation d’une obligation non-sanctionnée pénalement, ou simplement d’un comportement non conforme à celui d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

Enfin, l’appréciation du comportement de l’auteur du dommage au regard de celui qu’on aurait pu légitimement attendre se fait in concreto, en fonction de l’âge et des capacités de l’individu.

Le préjudice dans l’article 1240 du Code civil

Au sens de l’article 1240 du Code civil, le préjudice correspond à l’ensemble des conséquences patrimoniales et extrapatrimoniales causées par le fait fautif à la victime.

Pour être réparable, il doit être personnel, direct, actuel, certain, licite. Toutefois, certains de ces critères sont remis en cause.

Par exemple, si classiquement on admet que le préjudice doit être direct, l’appréciation du caractère direct de l’atteinte relève en pratique davantage de l’étude du lien de causalité.

De la même manière, on enseigne que le préjudice doit être actuel, mais un préjudice peut être indemnisé même s’il est futur, si sa réalisation est certaine et qu’il peut faire l’objet d’une évaluation.

Le caractère certain du préjudice

Le caractère lié à la certitude du dommage est donc un caractère nécessaire. On pourrait là encore penser à une exception avec l’indemnisation de la perte de chance, lorsque qu’un dommage empêche l’individu de réaliser une action (par exemple, victime d’un accident de circulation, un étudiant ne peut se rendre à un examen).

En réalité, la perte de chance n’indemnise pas le bénéfice espéré qui est incertain, mais la perte de la chance de l’obtenir, qui elle est certaine, de telle sorte que la validité du caractère de certitude est préservée.

Cette exigence connait toutefois trois exceptions :

  • en matière d’atteinte au droit à la vie privée (Cass, 1re civ., 5 nov. 1996 n°94-14.798),
  • en matière de troubles anormaux du voisinage (Cass, 3e civ., 21 juill. 1999 n°96-22.735),
  • en matière de concurrence déloyale (Cass. com., 9 févr. 1983 n° 91-12.258).

Le caractère personnel du préjudice

Le préjudice doit de plus être personnel : cela signifie que seule la personne qui a subi le dommage est fondée pour agir en responsabilité civile.

On ne peut donc intenter une action en responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du Code civil pour le dommage subi par un tiers.

La nécessité du préjudice personnel est l’incarnation en responsabilité civile de la nécessité de justifier d’un intérêt à agir pour introduire une action. Cette exigence est posée à l’article 31 du code de procédure civile, lequel dispose que « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, […] ou pour défendre un intérêt déterminé. ».

L’exigence d’un préjudice personnel ne fait toutefois pas obstacle à l’indemnisation des victimes par ricochet (la victime par ricochet est celle qui subie un préjudice en conséquence du dommage subi par la victime immédiate), qui peuvent obtenir réparation de leur préjudice dès lors qu’elles parviennent à démontrer qu’elles ont subi une lésion certaine d’un intérêt légitime juridiquement protégé.

Leur préjudice est donc personnel, bien que résultant d’un dommage causé à autrui. La réparation du préjudice médiat fut admise par la Cour de cassation dès un arrêt de la chambre criminelle du 20 février 1863.

Le caractère licite du préjudice

Enfin, pour être réparable, le préjudice doit être licite, c’est-à-dire représenter une atteinte à un intérêt juridiquement protégé.

Il résulte en effet d’un arrêt rendu par la chambre civile de la Cour de cassation du 27 juillet 1937 que « le demandeur d’une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle doit justifier, non d’un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d’un intérêt légitime juridiquement protégé ».

Cette formule permettait à la Cour de cassation de refuser, par exemple, l’indemnisation de la victime par ricochet qui ne présentait pas de lien de droit avec la victime immédiate (mariage ou filiation). Depuis cette jurisprudence, la condition de légitimité a progressivement été abandonnée, mais l’intérêt atteint doit toujours être licite. 

Le lien de causalité dans l’article 1240 du Code civil

Pour pouvoir engager la responsabilité civile de l’auteur d’une faute au sens de l’article 1240 du Code civil, la victime doit pouvoir établir que la faute est bien la cause juridique du dommage. La faute doit alors jouer un rôle nécessaire dans la réalisation du dommage.

Le lien de causalité se définit ainsi comme le lien de cause à effet entre le fait générateur de responsabilité et le dommage dont il est demandé réparation.

En pratique, on peut être confronté à des problèmes en matière d’établissement de la causalité lorsque plusieurs faits ont concouru à la réalisation d’un même dommage.

Deux conceptions du lien de causalité s’affrontent alors en doctrine :

  • la théorie de l’équivalence des conditions ;
  • la théorie de la causalité adéquate.

La théorie de l’équivalence des conditions postule que tous les faits ayant concourus à la réalisation du dommage doivent être traités à égalité car le dommage ne se serait pas réalisé si une de ses causes avait fait défaut. Ainsi, toute cause sera responsable de l’intégralité du dommage.

A l’inverse, la théorie de la causalité adéquate incite elle à rechercher la cause principale, la cause déterminante de la réalisation du dommage.

S’agissant d’un débat doctrinal, les juges ne sont contraints d’adopter ni l’une ni l’autre de ces positions.

Toutefois, pour des raisons pragmatiques, en pratique on adoptera plus facilement l’approche de la causalité adéquate en matière de responsabilité sans faute (ou objective), et l’approche de l’équivalence des conditions dans une responsabilité pour faute au sens de l’article 1240 du Code civil.

Article rédigé par Anne-Chiara Esnault

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